Par M. Elvis François OKONGUI, Directeur de l’Audit, de la Qualité, de la Stratégie et de l’Organisation de l’Agence Nationale des Infrastructures Numériques et des Fréquences (ANINF).
L’intelligence artificielle (IA) s’impose aujourd’hui comme un levier incontournable de transformation dans les organisations publiques. Grâce à ses capacités d’analyse, d’automatisation et de prédiction, elle promet une amélioration substantielle des performances administratives. Mais dans cet élan vers l’innovation, une question essentielle se pose : comment concilier efficacité technologique et gouvernance publique responsable ? Autrement dit, comment utiliser l’IA pour rendre l’administration plus performante sans renoncer aux principes d’éthique, de transparence et d’équité qui fondent le service public ?
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- Avantages de l’Intelligence Artificielle dans le domaine organisationnel de l’administration :
1.1 Automatisation des processus au sein de l’Administration :
Dans les administrations, l’IA offre des opportunités concrètes pour faciliter le déploiement des processus. Cette facilité passe par l’automatisation des tâches répétitives réalisées en interne par le personnel.
En effet, avec l’intégration de l’IA, l’agent mis au cœur des actions quotidiennes dans un service se verra enlever des charges de travail telles que la gestion des courriels et agenda, le nommage et l’archivage de documents, la planification des réunions, la rédaction de compte-rendu, la mise à disposition instantané de formulaires et d’informations entre autres.
Ces tâches citées pourront désormais être réalisées par un agent machine qui aura été programmé pour enregistrer par exemple un courrier arrivé, l’émetteur du courrier, le destinataire, l’objet du courrier et voir même le transmettre via mail à la personne à qui il est adressé. Cela permettra à l’agent au poste d’optimiser son temps de travail et se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.
Aussi, pour la gestion administrative de tâches, l’IA met à disposition des outils permettant d’avoir un compte-rendu de réunion plus fiable et dans un temps réduit.
En effet, avec l’outil d’IA CHATGPT[2], il est possible d’enregistrer une réunion tenue en présentiel ou en ligne et avoir un compte-rendu synthétisé qui ressort tous les points discutés et les recommandations retenues.
De plus, pour le cas d’un Responsable qui se retrouve avec une ou deux réunions planifiées au même moment, il est possible avec l’IA d’utiliser des outils permettant d’enregistrer la réunion à laquelle il ne peut prendre part, et en obtenir le compte-rendu, sans avoir recours à un représentant. Il est au même niveau d’information que toutes les personnes y ayant pris part et l’attente d’un compte-rendu sous 24 heures ne sera plus nécessaire.
1.2 Analyse fiable et approfondie des données :
Dans le cadre des actions menées au sein de l’Agence, des documents de suivi et évaluation sont produits dans l’optique d’analyser les données de chaque direction.
En effet, la Direction de l’Audit, de la Qualité, de la Stratégie et de l’Organisation (DAQSO)[3], dans ses prérogatives, fait l’analyse des rapports d’activités hebdomadaires et mensuels des différentes entités de l’Agence. Cette action est rendue plus efficace avec l’IA, qui offre aux équipes de cette direction, des outils visant à analyser de manière pratique et rapide, les dossiers présentés et traités durant une période définie.
L’IA ressort toutes les informations nécessaires comme les actions menées, leurs états d’avancement, les points bloquants, etc. Grâce à sa capacité d’analyse de données, elle soumet des solutions et des recommandations, voir même aider à la prise de décision.
De plus, une corrélation entre cette innovation et le mode de gouvernance actuel pourra être observé dans l’évaluation des plans d’actions et l’analyse des rapports d’activités.
Avec l’intégration de l’IA, l’analyse des rapports d’activités permet aujourd’hui, d’obtenir les niveaux d’avancement des activités contenues dans les plans d’actions de chaque direction, car toutes les activités quotidiennement menées au sein d’une direction émanent de son plan d’actions et y sont inscrites.
Ainsi, ce travail d’analyse préalablement fait par l’IA facilite les séances tenues par les équipes de la DAQSO avec les différentes directions. L’IA aura déjà ressorti quelques informations recherchées afin que les discussions ne soient orientées que sur les points bloquants et les prochaines actions à déployer.
L’IA peut également proposer toutes les combinaisons possibles pour lever un point bloquant ou prendre une décision. L’action humaine ne se limitera qu’à introduire le problème rencontré et les points bloquants existants. Une fois cet exercice exécuté, l’IA prendra le relais en réalisant une analyse approfondie pour aboutir à l’offre de solutions possibles.
Par ailleurs, dans le cadre de la gestion de projet, et grâce à une base de données numériques avancée, les algorithmes d’IA peuvent aider à définir la durée d’un projet, les actions autour des objectifs, définir les besoins en ressources humaines, financières et matérielles, fixer les délais de réalisation et également faire le suivi relatif à l’état d’avancement des activités.
De plus, dans la mise en œuvre d’un projet, l’IA peut produire et créer la documentation nécessaire aux travaux et orienter les utilisateurs pour une gestion plus efficace, précise, sans omission et dans les délais.
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- Les préoccupations autour de l’Intelligence Artificielle :
L’intelligence artificielle fonctionne selon la façon dont elle est conçue, développée, formée, réglée et utilisée. C’est une innovation qui met désormais l’usager en interaction avec un agent machine programmé et dépourvu du contenu subjectif de la conscience proprement humaine. De ce fait, une question fondamentale se pose quant à ses limites face à la notion d’éthique, à l’adaptation des agents à ce nouvel outil et à la transformation des métiers.
2.1 Les limites éthiques de l’Intelligence Artificielle :
L’intelligence artificielle dans sa conception ne détient pas le sens moral humain. Elle n’a pas la capacité de se mettre à la place de l’usager et ne se voit pas obligée de suffire à des règles et normes morales inhérentes aux interactions. Elle tente de produire un résultat, d’atteindre le but que ses créateurs lui ont assigné, sans égard à d’autres considérations.
De ce fait, la question de responsabilité n’est pas engagée avec l’intelligence artificielle qui prend des décisions sans pouvoir les assumer, les défendre et sans tenir compte des facteurs âges, sexe, handicap. Cela peut donc engendrer des préjudices, des plaintes et voir même un sentiment d’injustice et d’exclusion.
De plus, la sécurisation des données à caractère personnel n’est pas en reste car elles sont désormais détenues par une personne physique qui est chargée de les implémenter dans le système.
Il serait judicieux de penser une intelligence artificielle de confiance qui respecte les législations et règlementations applicables. Elle doit adhérer aux principes et valeurs éthiques, tout en étant techniquement sûre, fiable et sécurisée pour éviter toute entrave à la vie privée. Les usagers doivent posséder un contrôle complet sur leurs données personnelles, garantissant que ces dernières ne soient pas exploitées à leur désavantage.
2.2 Difficulté d’acceptation de la nouvelle technologie par les agents :
L’intelligence artificielle peut être perçue par certains comme un outil informatique visant à réduire l’utilité de l’agent humain dans les métiers organisationnels. Ceci peut donc constituer d’une part, une menace à l’emploi de l’agent administratif qui pourrait développer la crainte d’être substitué ou exclut au profit d’une IA. D’autre part, l’agent peut se sentir inférieur, car soumis aux décisions prises par une machine.
Par conséquent, il serait important de réaliser des campagnes de sensibilisation dans le cadre professionnel, en vue d’éviter dans un premier temps, les comportements réfractaires et les sentiments d’exclusion et de rejet chez les agents, et dans un second temps, pour établir une confiance robuste en cette innovation technologique.
Aussi, les reconversions de métiers et des formations sont à envisager pour maintenir en activité les agents impactés par cet outil.
En définitive, l’intégration de l’Intelligence Artificielle pour la performance organisationnelle de l’Administration offre des gains de temps et permet une efficacité significative pour une meilleure prise de décision. L’IA représente un formidable potentiel pour réinventer l’administration : plus rapide, plus réactive, plus efficace, plus sécurisée. Toutefois, il est essentiel de gérer les préoccupations éthiques et déontologiques liées aux informations à caractère personnel. Cette révolution technologique ne pourra se concrétiser qu’à la condition d’un pilotage éthique, responsable et participatif. C’est à ce prix que l’innovation contribuera réellement à une performance organisationnelle durable et légitime de l’administration.
[1] IA : Intelligence Artificielle
[2] ChatGPT veut dire en anglais « Chat Generative Pre-trained Transformer » et en français « générateur de discussion pré entrainé. C’est un outil informatique utilisant l’intelligence artificielle pour simuler une conversation.
[3] DAQSO : Direction de l’Audit, de la Qualité, de la Stratégie et de l’Organisation.