Article rédigé par une équipe de la Direction des Fréquences et de l’Audiovisuel.
Téléphones mobiles, internet des objets, voitures connectées, satellite en orbite basse, etc… les communications sans fil ne cessent de croître sans que l’on puisse entrevoir une fin à cette évolution. Il existe pourtant un facteur limitant pour cette évolution : le spectre de fréquences radioélectriques. C’est une ressource rare que les autorités nationales (ARCEP/ ANINF) et internationales (UIT, UAT) compétentes en la matière tentent de gérer avec beaucoup de parcimonie. Généralement des bandes de fréquences sont allouées de manière statique à des opérateurs au travers d’un processus d’enchère ou par une répartition définie par les autorités en charge de la gestion du spectre. L’intelligence artificielle (IA) pourrait permettre de créer une méthode d’allocation des fréquences totalement dynamique et en temps réel, ce qui rendrait la gestion du spectre nettement plus efficace.
2- Enjeux de la gestion du spectre de fréquences radioélectriques
Le spectre de fréquences radioélectriques est une ressource naturelle, à l’instar de l’eau, de l’énergie ou de la terre, mais contrairement à celles-ci, il est présent partout, en égales quantité et qualité, et n’est ni consommé ni dégradé lors de son utilisation. En un lieu donné, dès qu’elle n’est plus utilisée par un dispositif, une fréquence radioélectrique peut être instantanément réutilisée. Les fréquences radioélectriques fonctionnent donc comme des catalyseurs d’activités. Pour autant, elles sont une ressource rare et limitée ; l’utilisation simultanée et non contrôlée d’une même fréquence par plusieurs acteurs au même endroit peut créer des brouillages préjudiciables entre leurs services. Rare aussi parce qu’elles ne sont pas toutes dotées des mêmes qualités, notamment de propagation ou de capacité à transporter des quantités importantes d’informations. L’exploitation du spectre disponible est donc bien souvent exposée à la loi des rendements décroissants.
Le spectre radioélectrique est au cœur de l’activité économique des sociétés numériques modernes mais également d’enjeux sécuritaires, socio-culturels et politiques de premier plan. Or, ses ressources sont limitées et doivent être partagées entre l’ensemble des pays et une grande variété d’usages et de services. La gestion des fréquences radioélectriques s’est donc très rapidement avérée indispensable, au niveau supranational et au niveau national, pour garantir la qualité de la ressource spectrale et prévenir les brouillages. Des procédures ont ainsi été élaborées par l’Union internationale des télécommunications puis déclinées au niveau des Etats pour garantir aux utilisateurs un accès efficace au spectre. Leur mise en œuvre mobilise aujourd’hui des capacités de traitement et de partage des données, des méthodes d’analyse et des outils techniques qui devront, demain, évoluer pour faire face aux défis que la prolifération de nouvelles technologies et de nouveaux services impose à la gestion du spectre.
Avec la prolifération des nouveaux services et la croissance des besoins dans certaines bandes de fréquences, de nouveaux modes de gestion, plus dynamiques, seront vraisemblablement appelés à se développer et, avec eux, de nouveaux outils devront être conçus et mis en œuvre. L’IA, les bases de données adaptatives, l’open data et les blockchains sont autant de technologies qui apporteront vraisemblablement des solutions techniques aux défis qu’imposera une gestion dynamique des fréquences.
Le département recherche et développement de l’armée américaine (DARPA) s’est appuyé sur l’intelligence artificielle pour lancer une initiative visant à créer une méthode d’allocation des fréquences totalement dynamique et en temps réel pour rendre la gestion du spectre nettement plus efficace.
« Attribuer des fréquences fixes à certains usages sans tenir compte de la demande réelle à chaque moment est tout simplement trop inefficace pour répondre aux besoins actuels et risque de saper la fiabilité des technologies sans fil », a estimé William Chappel, directeur Microsystems Technology à la DARPA, à l’occasion de la conférence Dynamic Spectrum Sharing Summit, qui s’est tenue à Las Vegas (USA) en mars 2016.
Il est évident que l’allocation statique des ressources fréquentielles présente des limites, n’est pas efficace et ne permet pas d’assurer la croissance des communications sans fil dans le futur. L’IA peut nous amener à changer la méthode d’allocation des fréquences et passer du mode statique actuel vers un mode totalement dynamique.
L’idéal serait que les modules radios soient capables de sélectionner à la volée la fréquence la plus adaptée en fonction de l’importance de la communication et de la disponibilité du réseau. Tout le monde aurait ainsi accès à une large gamme de fréquences gérées de manière dynamique et en temps réel.
Mais comment faire pour y parvenir ?
Ce problème pourrait être résolu grâce à l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, un domaine dans lequel des progrès spectaculaires ont été réalisés ces dernières années.
La Radio Cognitive (RC) est l’un des concepts qui permet de répondre à ce défi ; mieux utiliser le spectre, c’est aussi augmenter les débits et rendre plus fiable la couche physique.
L’application des approches de l’Intelligence Artificielle dans la RC est très prometteuse, en effet elle est utilisée dans la mise en œuvre de l’architecture des réseaux RC. Ces derniers doivent pouvoir coexister pour rendre les systèmes de la RC pratiques, ce qui peut générer des interférences aux autres utilisateurs. Afin de traiter ce problème, l’idée de la coopération entre les utilisateurs pour détecter et partager le spectre sans causer d’interférences est mise en place.
La RC est une forme de communication sans fil dans laquelle un émetteur/récepteur peut détecter intelligemment les canaux de communication qui sont en cours d’utilisation et ceux qui ne le sont pas, et peut se déplacer vers les canaux inutilisés. Ceci permet d’optimiser l’utilisation des fréquences radio disponibles du spectre tout en minimisant les interférences avec d’autres utilisateurs.
Voici quelques applications de l’IA dans ce domaine :
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- Détection et analyse du spectre
• Identification des bandes disponibles : L’IA peut analyser en temps réel l’utilisation du spectre pour détecter les “bandes blanches” (zones non utilisées) et optimiser leur exploitation.
• Classification des signaux : Les algorithmes d’apprentissage supervisé et non supervisé peuvent distinguer différents types de signaux et identifier leur origine.
• Détection des interférences : L’IA peut surveiller le spectre et détecter les sources d’interférences potentielles, améliorant ainsi la qualité des communications.
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- Optimisation de l’allocation du spectre
• Attribution dynamique : Les algorithmes d’apprentissage par renforcement permettent une allocation adaptative et efficace des ressources spectrales en fonction des besoins.
• Prédiction de la demande : Grâce à l’analyse des données historiques et des modèles comportementaux, l’IA peut prévoir les pics d’utilisation du spectre et ajuster la gestion en conséquence.
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- Gestion des réseaux de communication
• Radios cognitives : Les systèmes basés sur l’IA peuvent optimiser automatiquement les paramètres de communication (puissance, fréquence, modulation) en fonction de l’environnement.
• Optimisation multi-utilisateurs : L’IA peut gérer simultanément les besoins de plusieurs utilisateurs et éviter les conflits d’accès au spectre.
• Partage intelligent : Les algorithmes d’IA facilitent le partage du spectre entre différents acteurs (civils, militaires, opérateurs) tout en minimisant les interférences.
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- Sécurité et détection des anomalies
• Détection des signaux non autorisés : L’IA peut identifier les signaux illégitimes ou les tentatives de piratage dans le spectre.
• Prévention des cyberattaques : Les techniques d’IA permettent de sécuriser les communications en détectant les comportements anormaux dans l’utilisation du spectre.
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- Applications spécifiques de l’IA dans la gestion du spectre :
• 5G et 6G : L’IA est utilisée pour optimiser l’utilisation des fréquences dans les réseaux mobiles de nouvelle génération.
• Internet des Objets (IoT) : La gestion du spectre pour les milliards d’appareils connectés repose sur l’automatisation et l’optimisation par l’IA.
• Communications satellitaires : L’IA aide à gérer les interférences et à coordonner l’utilisation des fréquences entre les satellites et les stations terrestres.
• Réseaux d’urgence : L’IA peut prioriser les communications critiques en cas de catastrophe.
• Efficacité accrue : Utilisation maximale des ressources disponibles.
• Réduction des coûts : Automatisation des processus de gestion.
• Réactivité : Capacité à s’adapter rapidement aux changements d’environnement.
• Résilience : Meilleure détection et gestion des problèmes de sécurité et des anomalies.
Cependant, l’utilisation de l’IA fait face à certaines contraintes, notamment :
• La Complexité des algorithmes : Les solutions basées sur l’IA nécessitent des systèmes performants et une infrastructure avancée.
• Le Volume de données : Le traitement en temps réel de grandes quantités de données spectrales est un défi technique.
• Les Problèmes éthiques et réglementaires : L’utilisation de l’IA doit respecter les cadres juridiques et garantir une gestion équitable du spectre.
• L’interopérabilité : Intégrer l’IA avec les systèmes de communication existants peut poser des difficultés.
L’intelligence artificielle (IA) joue un rôle clé dans la gestion du spectre radioélectrique en offrant des solutions pour améliorer son utilisation, réduire les interférences et s’adapter dynamiquement aux environnements de communication complexes.
L’IA continuera d’être un pilier dans la gestion du spectre, notamment avec l’avènement de la 6G et des communications ultra-connectées. Son rôle sera renforcé par l’évolution des technologies comme le cloud computing, les réseaux neuronaux avancés et les systèmes autonomes. Elle permettra une exploitation plus efficace, sécurisée et équitable des ressources spectrales.
Cependant, l’utilisation de ces méthodes pose des défis en termes de régulation et d’interopérabilité.
Abréviations
ARCEP : Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes
ANINF : Agence Nationale des Infrastructures Numériques et des Fréquences
UIT : Union Internationale des Télécommunications
UAT : Union Africaine des Télécommunications
Sources:
Systematic Literature Review of AI-enabled Spectrum Management in 6G and Future Networks, BUSHRASABIR, SHUIQIAOYANG, DAVIDNGUYEN, NANWU, ALSHARIFABUADBBA, HAJIME SUZUKI, SHANGQI LAI, WEI NI, DING MING, and SURYA NEPAL, CSIRO’sData61, Australia, 06/12/2024.
L’intelligence artificielle optimisera la gestion du spectre des fréquences. – LTE Magazine du 5 novembre 2023.
Allocation dynamique des fréquences pour l’Internet des Objets (IoT), Adam TALBA, ENSPY, Septembre 2022.